I. Minder-Jeanneret: Caroline Boissier-Butini (1786–1836)

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Title
Caroline Boissier-Butini (1786–1836). compositrice et pianiste genevoise


Published
Genève 2021: Slatkine Reprints
Extent
222 S.
by
Corinne Walker

La découverte de personnalités oubliées est toujours une belle aventure, surtout lorsqu’il s’agit d’une pianiste et compositrice genevoise. Depuis plusieurs années, la passion de la musicologue Irène Minder-Jeanneret, soutenue par l’Association Caroline Boissier-Butini, a redonné vie à la musique de Caroline Boissier-Butini par la publication et l’exécution de ses oeuvres lors de concerts et par l’enregistrement de plusieurs CD. À partir de sa thèse parue à Osnabrück en 2013,1 Irène Minder-Jeanneret a publié une biographie de la musicienne en 2021. L’entreprise fera date dans l’histoire des musiciennes injustement méconnues.

La biographie de Caroline Boissier-Butini est intéressante à bien des points de vue par l’éclairage que le journal et la correspondance de la compositrice apporte sur son intimité et sur le contexte familial et artistique dans lequel elle a vécu. Le livre est une source précieuse pour l’histoire de la société genevoise et pour celle des conditions de création musicale du début du 19e siècle.

Malheureusement, le livre est moins convaincant dans les pages consacrées au contexte dans lequel a évolué Caroline Boissier. Accrochée au mythe éculé d’une Genève indifférente aux arts, l’auteure ne tient aucun compte des dernières recherches historiques et musicologiques sur le sujet, parues quatre ans auparavant. 2 Elle semble pourtant bien avoir feuilleté l’ouvrage qu’elle cite à deux reprises, mais de façon erronée: la première lorsqu’elle affirme que le répertoire joué lors de concerts à la Maison de ville «était italien avant tout» (p. 38), la seconde – à la même page – où elle écrit que «le rôle des femmes se réduisait au chant». Or les deux notes de référence renvoient toutes deux à une annexe présentant les bibliothèques musicales conservées dans les inventaires après-décès de Pierre Fatio (1707) et de Jean-Louis Tronchin (1773), sans aucun rapport avec son propos. A l’image de ces contresens, les exemples de la méconnaissance du contexte historique abondent.

C’est que, convaincue – avec l’auteur de la préface – qu’au tournant des 18e et 19e siècles le paysage musical genevois «s’apparentait à un désert», Irène Minder-Jeanneret présente Caroline Boissier comme une autodidacte, comme «un talent sorti de nulle part» – c’est même un titre de chapitre – (p. 43). Au fil des pages, l’auteure répète que parmi les arts à Genève «la musique est la grande absente» (p. 38), qu’elle est une «discipline sans prestige» (p. 35) qui «ne jouit d’aucune considération sociale» (p. 48). Pire, que le gouvernement exerce «une politique restrictive en matière d’encouragement de la musique » (p. 40), empêchant en particulier l’établissement de maîtres de musique. Et d’affirmer enfin que «nous ne savons que peu de choses sur les pratiques musicales d’avant 1832, année de fondation de la Société de musique» (p. 38).

En réalité, au 16e siècle déjà, des écoles de musique sont établies pour apprendre à chanter aux enfants et des maîtres de danse et d’instruments sont installés en ville au moins depuis le 17e siècle. La Compagnie des pasteurs, convaincue avec Calvin que la musique est un «don de Dieu», militera dès l’aube du 18e siècle pour développer la formation musicale, comme en témoigne le Mémoire contenant des moyens faciles pour enseigner la musique à la jeunesse de Genève publié en 1704. Elle sera également favorable à l’introduction d’orgues dans les temples.

Au chapitre des pratiques musicales, la première société de concerts remonte à 1717, et tout au long du 18e siècle des concerts sont régulièrement organisés dans la salle de l’Hôtel de Ville – où se produira entre autres le petit Mozart –, puis dans une salle au Molard. Un voyageur relèvera d’ailleurs, en 1776, l’importance de l’offre musicale à Genève: «Nous avons des concerts, plusieurs jours de la semaine, en divers quartiers où les sexes se rendent, l’on y mêle les voix aux instruments de musique, les étrangers y sont invités, particulièrement les amateurs». Genève compte ainsi suffisamment de musiciens professionnels et amateurs pour former un orchestre toujours présent lors des événements officiels, sans parler des représentations de théâtre, des opéras et des ballets dont raffolent les Genevois.

On comprend dès lors que les musiciens professionnels aient été accueillis à bras ouverts dans une ville où ils trouvent bien des amateurs pour jouer avec eux et suffisamment d’élèves pour vivre confortablement. Enfin, liées au développement des pratiques musicales, les boutiques de luthiers se multiplient et, dans les années 1770, la ville compte même une éditrice de musique, Suzanne Scherrer, qui publia entre autres les oeuvres de musiciens étrangers établis à Genève.

Les exemples attestant du rayonnement musical de Genève et de l’importance des pratiques de la musique au 18e siècle sont nombreux. Ils montrent tous que le talent de Caroline Boissier-Butini, comme les institutions du 19e siècle, sont loin de sortir de nulle part. La personnalité musicale de la compositrice genevoise aurait eu tout à gagner à être correctement située dans son temps. Pour briller, elle n’avait pas besoin du vieux poncif d’une ville réfractaire aux arts sans cesse ressassé. A Genève, la terre était-elle condamnée à rester plate?

Anmerkung:
1 Irène Minder-Jeanneret, «Die beste Musikerin der Stadt». Caroline Boissier-Butini (1786–1836) und das Genfer Musikleben zu Beginn des 19. Jahrhunderts, Osnabrück 2013.
2 Corinne Walker, Musiciens et amateurs. Le goût et les pratiques de la musique à Genève aux XVIIe et XVIIIe siècles, préface de Philippe Dinkel, avec une contribution de Xavier Bouvier, publié sous les auspices de la Haute École de Musique de Genève, Genève 2017.

Zitierweise:
Walker, Corinne: Rezension zu: Etemad, Bouda: De Rousseau à Dunant. La colonisation et l’esclavage vus de Genève, Lausanne 2022. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(3), 2023, S. 388-390. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00134>.

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